AGATHE
Nous sommes décoiffées, voilà !
FÉLICIE
Et nous coiffer Cendrillon seule a toujours su.
AGATHE & FÉLICIE
Ah, si Cendrillon était là !
Jour
Mais où est-elle, où est la Princesse inconnue ?
FÉLICIE
Ahah. Le Prin-Prince Aga-gathe.
AGATHE
Voui. Le Prince Fé-félicie.
(Elles s’inclinent.)
FÉLICIE
Mon sire !
AGATHE
Votre Aristocrate !
(Agathe s’effondre)
Pardon votre Jesté, si je m’écroule ainsi :
C’est que j’ai mal aux pieds,ce qui fait que je boîte
FÉLICIE
Et, Votre Prince, moi j’ai très très mal aussi,
Mais au coeur. Ce qu’il faut c’est du bicarbonate.
Jour
Qu’est-ce que c’est que ces deux choses ?
Je vous salue mesdemoiselles
Ce bal est tout à vous et j’ose
Comprendre qu’il vous échevèle.
AGATHE
Ah qu’il est facétieux !
Vous avez remarqué !
FÉLICIE
Etre un peu décoiffée
Donne l’air si gracieux.
Jour
Certe. Ayez la gentillesse
De répondre s’il vous plaît :
Avez-vous vu la princesse
Qui tantôt m’accompagnait ?
AGATHE
La Princesse ; et nous, Prince, et nous ?
Sommes-nous dégoûtantes ?
FÉLICIE
En nous voyez-vous une moue
Qui emplit d’épouvante ?
Jour
Mais non, bien sûr que non.
FÉLICIE
Ça y est, il m’a souri !
AGATHE
C’est à moi qu’il a souri, sotte.
FÉLICIE
Ah mais non, c’est à moi. Tu veux que l’on parie ?
Le Prince louche-t-il, idiote ?
AGATHE
Vantarde !
FÉLICIE
Ah, je me vante ?
C’est ce qu’on va voir. N’est-ce pas
Prince, que vous ne louchez pas ?
Dites-lui si j’invente !
Jour
Mais...
FÉLICIE
Merci, Votre Illustration
Alors, voilà mes inventions !
Jour
Bien. Pardon si je vous malmène,
Vous êtes tout à fait gentilles,
Mais...
AGATHE & FÉLICIE
Tout à fait gentilles !
Aaaah !
(elles s’évanouissent)
Jour
Quels sont ces énergumènes ?...
Beautés de pacotille !
Holà, quelqu’un ! holà !
Diantre soit des fêtards !
CENDRILLON
Ah Seigneur vous voilà.
Pardonnez mon retard ;
Je me suis égarée dans tous ces beaux jardins
Et ne retrouvais plus cette grande terrasse.
Jour
Ah tant pis si j’ai l’air d’un de ces beaux blondins
Dont je déteste la race ;
Mais il faut que j’avoue car je le vois soudain
Qu’un retard de vous me glace.
Mais cette nuit de printemps
Ne me semble vouloir durer si long temps
Que pour nous garder ensemble.
Pardonnez-moi encor si j’ai dû m’absenter :
Père voulait me consulter.
Tout heureux, d’une voix qui tremble,
"Qui est la belle ? me dit-il,
Elle m’est inconnue,
Mais quel admirable profil !"
Eh ! c’est qu’il vous a vue !
Je n’ai pu répondre que oui.
"Tu devrais, a-t-il continué
Avec un ton réjoui,
"Tu devrais bien lui demander.."
Et j’ai encor répondu oui !
Je cours m’en contenter avecques votre mère !"
A-t-il dit en disparaîssant ;
Et j’ai couru en faire autant
Avec vous, quand, surprise amère,
Au lieu de vous j’ai trouvé ces deux folles
Qui..
CENDRILLON
Deux folles ?
Jour
Ici : les voici évanouies.
CENDRILLON
O Ciel ! Ce sont, sur ma parole...
Jour
Les connaissez-vous donc ?
CENDRILLON
Oh oui !
Non !...Elles sont blanches comme des linges,
Il faut les faire revenir.
AGATHE
Ooh, qu’ai-je eu ?
FÉLICIE
Mais d’où viens-je ?
CENDRILLON
Il faut vous raffermir.
AGATHE & FÉLICIE
Ooh, là ! Le Prince et la Princesse !
CENDRILLON
Hélas, elles délirent !
Votre malaise cesse ?
AGATHE
Quand à moi j’ai toujours très mal au pied, madame !
FÉLICIE
Et moi aussi, au coeur en ce qui me concerne.
Jour
Bien. Dans ce cas, je le proclame
Il faut boire un grand coup de bon vin de Sauternes.
Allez vite au buffet
FÉLICIE
Bon. J’ai compris : on nous évince.
Eh bien, ma foi, parfait !
Quel impertinent que ce Prince !
Bien votre Seigneurial !
CENDRILLON
Voulez-vous que je vous raccompagne là-bas ?
AGATHE
Hypocrite rivale !
Non merci, ça ira.
Eh, adieu, Prince-Monseigneur !
Jour & CENDRILLON
Adieu Mesdemoiselles.
AGATHE & FÉLICIE
Adieu....
AGATHE
Il ne faut pas dire, ma soeur
A maman cet échec odieux.
FÉLICIE
Non.
CENDRILLON
Attention à l’escalier !
AGATHE & FÉLICIE
Nous ne sommes pas aveugles. Hééééh !
(Elles tombent dans l’escalier)
CENDRILLON
J’espère, après cette sortie
Qu’avec le Prince elles auront un peu de chance.
Jour
J’ai peur que ce soit mal parti.
Mais vous-même auriez pu, pendant ma longue abscence
Le rencontrer un peu.
CENDRILLON
C’est que, j’ai honte de le dire,
Pour ce Prince glorieux
Je sens mon coeur se refroidir
Et depuis que je suis en votre compagnie
De le voir j’ai presque oublié
Mes furieuses envies.
N’est-ce pas singulier ?
Jour
Et n’est-ce pas charmant ?
Vous savez que mon père
De vous m’a parlé longuement
Et m’a dit que ce que j’espère,
Aussi le souhaitait ardemment.
Et il faut que je vous demande...
CENDRILLON
Et quoi...
Jour
Si de mon coeur vous acceptez l’offrande,
Si vous voulez enfin m’accorder votre main.
(les douze coups de minuit se mettent à sonner lentement.)
CENDRILLON
Oh ciel !
Jour
Non, ne me dites rien.
Seulement qui vous êtes.
CENDRILLON
Oh ciel, je perds la tête !
Mais quelle est donc l’heure qui sonne ?
Jour
Vous ne répondez pas, qui êtes-vous ?
CENDRILLON
Personne !
Mais quelle heure est-il donc ?
Jour
Mais il n’est que minuit !
Puisque vous ne voulez me donner votre nom,
Je vais vous dire qui je suis.
Je suis, moi...
CENDRILLON
Minuit ! Non !
Pardon, Seigneur, Pardon, je dois partir !
Minuit, minuit, mon Dieu !
Jour
Mais je vous supplie de me dire...
CENDRILLON
Pardon, pardon, adieu !
Adieu !
(elle sort)
Jour
Amour ! amour !
Je suis... le Prince Jour...
Partie ! partie ! pourquoi ? ai-je dit un seul mot
Qui ait pu la meurtrir ? Ai-je fait un seul geste
Qui l’ait éffarouchée ? A moi, Dieux Infernaux !
Envoyez-moi vos coups, lèpre, choléra, peste,
Si par un traître mot j’ai souillé son émoi.
Je veux la retrouver. Je dois la retrouver.
Holà, des gens, holà ! Au secours, tous ! A moi !
Mais que vois-je sur le pavé ?
En s’enfuyant elle a perdu cette pantoufle.
Cruelle ! Ah, vont-ils arriver ?
A moi ! venez ici, vite, gredins, maroufles !