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Le décor change derrière Cendrillon qui s’est endormie.
Le jardin au crépuscule.
Au centre, une tombe au pied d’un grand arbre.
Musique étrange

CENDRILLON, DAME THISBÉE

VOIX DE THISBÉE
A moi elfes des bois ! A travers ces feuillages
De tendres pleurs mouillés, ma machine volante
A peine à se frayer un facile passage.
Et par ces sombres nuits, gare aux chutes violentes !
A moi forces du ciel ! Au sol je vais tomber !

CENDRILLON
Quelle apparition vient troubler mon chagrin ?

VOIX DE THISBÉE
A moi, Fille ! Aide-moi si tu veux être aidée.
Tire ces branches mortes qui me font un frein
Si tu comprends enfin qu’il faut que j’atterrisse
Il est grand temps déjà : entend sonner sept heures.

CENDRILLON
Et quelle est cette vieille au ton plein de malice
Dont l’étrange équipage emplit l’âme de peur ?

VOIX DE THISBÉE
Ma machine est fragile et pleine de surprises
Mais ma foi j’en connais assez bien les détours
Et mes précautions font que je la maîtrise
Malgré les vents glacés qui soufflent alentour.
Quelle est cette vieille , dis-tu ? Pas de question
Sur mon nuage enchanté ? Cet enfant ne se trouble
Que sur l’essentiel, belles dispositions.
Tu vois là une vieille à la vérité double,
Triple et même multiple, ô petite jeunette
Qu’on appelle... oh, oh, le sol est-il abordable ?

CENDRILLON
Oui

VOIX DE THISBÉE
Descendre il faut donc.

CENDRILLON
Dites-moi qui vous êtes
Madame, s’il vous plaît.

(Dame Thisbée paraît sur son nuage)

THISBÉE
Manoeuvre irréprochable,
Bravo Thisbée !

CENDRILLON
Thisbée, ah, quel étrange nom !

THISBÉE
Je n’ai que celui-là, Thisbée qui, je l’espère,
Ne t’est pas inconnu. Thisbée, mon ange ?... Non ?...
Si ?...

CENDRILLON
Vous seriez la fée dont ma rêveuse mère
M’avait souvent parlé ?

THISBÉE
Ah, enfin, tout de même !

CENDRILLON
Et toujours j’y ai cru !

THISBÉE
Fi, à mon existence ?
Seuls les sots n’y croient pas, mais quant à ceux qui aiment,
Qui se rappellent bien les histoires d’enfance
Et gardent souvenir des personnes parties
Autrefois, mon petit... C’est une chance fière
De les faire surgir pour entendre à l’envie
sous la voix d’une fée, les conseils d’une mère.

CENDRILLON
Un long frisson m’emplit au discours bien connu
De sa voix inconnue. De mon arbre qui luit
Et comme dans mon rêve elle m’est apparue ;
Et sa pâle clarté vacillant dans la nuit
Me rendrait presque heureuse en ce triste moment.

THISBÉE
Que cet Enfant me touche avec la clairvoyance
Et la sérénité de ses pressentiments.
Va-t-il se souvenir enfin de ma présence ?
Je suis là !

CENDRILLON
Elle est là et ce tout simple fait
Me soulève, m’emporte avec un élan tel
Que je sentirais presque, et puis presque à regret,
Et presque malgré moi, une confiance belle.

THISBÉE
Ah, bravo mon Enfant ! Sais-tu ce que je pense ?
Tu vas être comblée en ce soir merveilleux.

CENDRILLON
Merveilleux ? Oui ; pourtant je n’y vois que des pleurs
Des cris et des soupirs sur mon sort malheureux.

THISBÉE
Malheureux ? Oui ; pourtant je n’y vois moi qu’honneurs
Ris délices et joies pour cet Enfant chanceux
Qui va aider Thisbée.
(La machine volante disparaît)

CENDRILLON
Oh !

THISBÉE
Vite une citrouille !

CENDRILLON
Et si elle était folle ?

THISBÉE
Un rat et un lézard !
Et des souris aussi, grouille petite, grouille !

CENDRILLON
En un pareil moment ces demandes bizarres ?

THISBÉE
Bizarres pour un oeil qui refuse de voir !
De voir la vérité dessous les apparences ;
De voir que voir suffit pour avoir le pouvoir
Frappé par mille coups, de renverser sa chance.
De messages trompeurs se déguise le sort :
Il faut apprendre Enfant à chasser le mensonge
Si tu veux par toi seul devenir sage et fort.
Lors tu auras la vie à laquelle tu songes.
Ce qui t’arrive peut se tourner comme un gant ;
Comprends : chagrin et joie sont une même chose
Si de plonger en toi tu veux prendre le temps
Et tirer de ton coeur les épines des roses.
Vas tu savoir Enfant que seule toi peux tout
Si tu sais prendre enfin ce qui te fait envie
Qu’une peine, un bonheur se prennent par deux bouts ;
Que de la mort enfin il ne naît que la vie !
Je te semble tocquée avecques mes demandes
Obéis. Tu verras, si tu ouvres ton oeil,
Que sagesse et folie, pourvu que tu m’entendes
Sont faces opposées d’une vérité seule.

CENDRILLON
Citrouilles et lézards ? Quand la vérité, moi,
Qui me hante ce soir est la vibrante image
Qui me gonfle d’espoir et me remplit d’émoi
D’un grand bal qu’à l’instant un Prince doux et sage
Anime de ses yeux qui cherchent une femme.

THISBÉE
Je te le dis Enfant, et crois-moi sur mon Âme,
Tu trouveras ce Prince en me cherchant lézard,
Citrouille et puis souris. Les plus simples objets
Peuvent te sauver si tu t’en sers avec art,
Avec le même amour qu’en chaque acte je mets.

(Cendrillon sort)

Quelle ingénuité ! Déjà elle est Princesse
sans même le savoir. Eh, sur ma foi, Thisbée,
Pour peu que cet Enfant emplisse ses promesses,
surmonte les malheurs qui sur lui sont tombés
Avecques la vertu qu’à coup sûr je lui sens,
La cause que je sers, je l’aurai défendue
De la bonne façon ; et le vent si puissant
Qui céans m’a poussé aura été fort bien venu.

(Cendrillon entre avec ce qu’a demandé la fée)

CENDRILLON
Voilà bien de quoi faire un étrange ragoût !

THISBÉE
Quoi, manger des souris ! Hi, hi ! est-elle farce !
Sur ces jolies bêtes éparses,
Il suffira d’un petit coup
De ma baguette...oh ! oh, ma baguette, où est-elle ?
Mais je l’avais rangée, cette amie si fidèle !
Comme je me connais, je range bien tout mais
Ne retrouve rien car, comme je me connais,
Je crois que je n’ai pas rangé !
Eh, c’est que je me fais âgée.
Bon. Commençons par la citrouille :
Sa belle forme rebondie
Evoque un carrosse sans contredit !
Voyons... Il ne faut pas que je bafouille !
Hou la ba ba la chou !

(La citrouille est changée en carrosse)

Bien, Thisbée ! tu n’as pas vieilli.
Alors, Enfant, qu’en dites-vous ?

CENDRILLON
Je n’en crois pas mes yeux et suis toute éblouie.

THISBÉE
A nos deux souris, à présent,
Qui feront les chevaux.
Ba la ba ba la da

(Les souris deviennent des chevaux)

Oui-da, les beaux dadas !
Ah ! ah ! Thisbée bravo !
Vrai, quel beau gris souris !
Ah, Cendrillon reprend confiance ;
Je vois qu’elle sourit.
Ce n’est pas encor tout, patience ;
Il te faut un cocher.
Attrape donc ce rat qui s’en va se coucher.
Ah ! ah ! Comme il gambade ! Aïe-donc ! Il est furieux !
Alla Alla Ekber

(Le rat se transforme en cocher)

Bravo ! de mieux en mieux !
Ah, comme il a bel air
Avec sa maîtresse moustache.
Bien ; je crois qu’il ne manque rien
Et mon oeuvre, ma foi, est sans aucune tâche.
Tout est beau, tout est bien.

CENDRILLON
Je crois qu’un manteau plus coquet...

THISBÉE
Mais oui, tu a raison : il te faut un laquais,
Où avais-je la tête !
Attrapons ce lézard ;
Cette petite bête
Est désignée pour faire un de ces lents gueusards...
Ioc ioc ioc ioc ioc ioc

(le lézard se change en laquais)

Ah ! Est-il beau cet animal !
Quoi, tu traînes encor ? Cendrillon, tu te moques
Et vas être en retard au bal !
Vite, allons !

CENDRILLON
Mais, Madame.

THISBÉE
Ne me remercie pas, amuse toi et file !

CENDRILLON
Je...

THISBÉE
Va !

(Cendrillon se dirige vers le carrosse)

Horreur ! Cendrillon, sur mon âme,
Tu ne vas pas porter ces vieux habits ! Enfile
Quelque chose de neuf !

CENDRILLON
Mais...

THISBÉE
Non, quelle étourdie !
Si je n’étais pas là ! Fais vite, je te dis !
Quelle est ta couleur préférée,
Petite Cendrillon ?

CENDRILLON
Le bleu ; mais...

THISBÉE
En ce cas, je te ferai
Cette robe d’un beau rouge tout vermillon !
Cacaracamouchen

(Cendrillon se trouve parée d’une belle robe rouge) CENDRILLON
Merci ! merci ! merci !

THISBÉE
Plus tard, Enfant, plus tard !
Sur ce, à la prochaine !
Thisbée, nom d’un pétard,
Tu ne la préviens pas qu’une chose l’enchaîne ;
C’est le plus important ! Ah, de deux choses l’une,
Ou tu vieillis, ou tu bois trop.
Mais je ne vieillis pas, et c’est là ma fortune,
Des fées le privilège. Alors ? Eh.. tu bois trop !...
Mon enfant, danse, ris, ne fais nul embarras
Et tâche si peux de ravir le dauphin
Mais rappelle toi que, quand minuit sonnera
Le sortilège prendra fin ;
Que ton bel équipage
Reprendra d’un seul coup son allure première
Et tous ces trompeurs avantages
Leurs apparences coutumières !

CENDRILLON
Minuit !

THISBÉE
Cela te semble court ;
Mais ce soleil d’hiver ne fait que se coucher,
Tu auras tout le temps de faire bien ta cour !
Ne perds pas un instant. Et cocher, cravachez !

(Le carrosse s’ébranle et sort)

CENDRILLON
Merci, THISBÉE

THISBÉE
Minuit, n’oublie pas ! Cours,
Vole ! Ah, pendant sa chevauchée,
Je vais faire de sorte
En m’assurant leur compagnie,
Que ce pâle soleil et cette lune accorte
Ralentissent un peu leur trajet tout uni,
Suspendent leur vol sans surprise
Et doublent la durée d’une nuit si exquise.

Soleil et Lune descendent du ciel et entourent Thisbée tandis que tombe le

RIDEAU




"Cendrillon" de Jean-Baptiste Fronty est un texte déposé © FRONTY - Contact